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Quand le PCC pensait que Taiwan devait être indépendant : retour sur la position de la Chine sur Taiwan d'après un ancien diplomate néérlandais

  • 11-05-2022
Décryptage
Relation Chine-Taïwan (Reuters)

Basée sur un article publié par la revue géopolitique sur la région Asie-Pacifique, The Diplomat, écris par un ancien diplomate néérlandais, le docteur Gerrit van de Wees, cette émission est une retranscription d’un article dans lequel il revient sur l’histoire de Taiwan.


Qui est Gerrit van der Wees?

Le docteur Gerrit van der Wees est originaire des Pays-Bas. De 1980 à 2016, il a été le rédacteur en chef du papier « Taiwan Communiqué », un média qui avait été créé par lui et sa femme, Chen Mei-chin (陳美津), suite à l’incident de Kaohsiung en décembre 1979. Dans les années suivantes, la publication a joué un rôle clé en concentrant l’attention du Congrès américain, du Département d’Etat et la communauté internationale sur les problèmes des droits humains et le manque de démocratie sur l’île.

Avec une formation en tant qu’ingénieur aérospatial et en transfert de technologie, il sert le gouvernement néérlandais de 1982 à 2005 en tant que fonctionnaire dans sa politique aérospatiale. De 1994 à 2000, il a également été un diplomate néérlandais à Washington dans l’ambassade néérlandaise.

En été 2005, il retourna à Washingtoin DC pour travailler avec l’association formosane des affaires publiques (FAPA), une organisation communautaire de Taiwanais-Américains. Il aidait l’organisation à faire le lien avec le Sénat américain, le département d’Etat et les autres ambassades étrangères. Il quittera ce poste en mars 2016.

Il continue à écrire des commentaires sur la situation politique à Taiwan et autour pour le Taipei Times, The Diplomat, TaiwanInsight (un journal de l’université de Nottingham) et The National Interest. Il a enseigné l’histoire de Taiwan à l’université George Mason en Virginie jusqu’en 2020, depuis quand il enseigne un séminaire sur les questions d’Asie orientale.

 

L’actuelle position du Parti Communiste Chinois (PCC) ne se retrouve pas dans l’histoire de la Chine

Wei Fenghe (魏鳳和), le ministre de la Défense chinois, a déclaré dans un entretien téléphonique avec le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, que « Taiwan est une part de la Chine et personne ne peut changer ça. »

Cette déclaration n’est que la dernière d’une série de déclarations de plus en plus vindicatives du gouvernement chinois depuis l’arrivée au pouvoir de son dirgeant Xi Jinping (習近平) ces dernières années, déclarant que Taiwan est une « part inaliénable de la Chine » depuis les dynasties Ming et Qing.

Selon Gerrit, le problème de la position de Pékin est double : la première est que cette position n’a pas de solide base historique et la seconde est que du point de vue de l’histoire cette position est relativement récente. Mais l’approche de principe n’est pas aussi consistante qu’elle n’est décrite par les autorités chinoises.

D’après l’ancien diplomate, la revendication du territoire taiwanais comme une partie de la Chine pendant les dynasties Ming et Qing est tout au plus discutable. Il rappelle que ce n’était certainement pas un territoire durant la dynastie Ming (1368-1644) car lorsque la Compagnie néerlandaise des Indes orientales est arrivée à Taiwan en 1624, elle n’a trouvé aucune preuve de structure administrative de l’empire Ming. Et avant cette arrivée, l’île n’ était seulement occupée que par les aborigènes natifs de descendance des ethnies malayo-polynésiennes.

C’est en 1662 que la gouvernance néerlandaise prend fin lorsque Koxinga, un partisan de la dynastie Ming s’est réfugié à Taiwan alors que les armées mandchoues gagnaient du terrain pour créer le royaume indépendant de Tungning. Mais à l’arrivée de Koxinga, la dynastie Ming n’existait déjà plus depuis plusieurs années. Sa famille ne règnera seulement jusqu’en 1683, année de la défaite du petit-fils de Koxinga sur les Pescadores face aux Mandchous.

Au début de la dynastie Qing, les premiers empereurs ne s’intéressaient pas du tout à l’île. En 1683, l’empereur Kangxi ira même jusqu’à déclarer que « Taiwan est en dehors de l’Empire et n’a pas de grande conséquence » dans la région. Il offrira, par la même occasion, aux Néerlandais de racheter le territoire.

Entre 1683 et 1895, Formose était donc administrée officiellement comme une partie de la province du Fujian, mais en réalité l’île était un espace sauvage et administrativement ouvert. Plus de 100 révoltes armées ont eu lieu pendant cette période. Les habitants de l’île voyaient la dynastie Qing comme un régime colonial et en aucun cas s’imaginaient à l’époque comme une « partie de la Chine ». Ce n’est qu’à partir de 1887 que Taiwan a été elevé au statut de « Province de Chine », néanmoins cela ne durera que huit ans, une vérité incofortable pour les autorités de Pékin actuelles.

 

De la République de Formose à la colonie japonaise

A la signature du traité de paix de Shimonoseki en avril 1895, qui terminait la guerre sino-japonaise de 1894-1895, a été décidé que la souveraineté sur le territoire de Taiwan était transférée formellement à perpétuité de la dynastie Qing à l’empire japonais.

Taiwan, que ce soit les autorités locales ou le peuple, n’a jamais été consulté concernant cette décision. Cela entrainera une réaction de son gouverneur Qing local, Tang Jinsong, qui déclarera l’indépendance de la « République de Formose » alors que le général Liu Yongfu, surnommé « drapeau noir », parvient à lever une armée de plus de 100 000 soldats sur l’île.

Mais la toute jeune république n’avait pas les capacités de faire face à l’armée japonaise déjà très moderne pour l’époque. En octobre 1895, les Japonais avaient mis en déroute le général Liu et ses troupes en seulement quelques jours. Cependant, la résistance armée sur l’île perdurera encore pendant près d’une décennie après cette victoire forgeant une nouvelle identité « taïwanaise ».

Les deux décennies suivantes, le Japon entreprit le travail de fondation pour la modernisation de Taiwan en construisant des ports modernes, un réseau ferré, routier, des établissements scolaires, des hôpitaux ainsi que les systèmes de traitement et d’évacuation des eaux usées, tout en réprimant sévèrement et violemment l’expression et le modèle de vie des aborigènes.

Dans les années 1920, le Japon est fier de son travail sur la transformation de Taiwan dont il fait désormais référence comme d’une « colonie japonaise ».

Durant cette période, en Chine, la révolution Xinhai de 1911 était survenue marquant la fin de la dynastie Qing mais surtout de l’Empire chinois. Cette date marque l’établissement de la République de Chine. Durant sa première décennie d’existence, Taiwan était bien loin des préoccupations des différents gouvernements successifs. Leurs dirigeants traitaient Taiwan avec la plus grande indifférence et considérait le territoire au mieux comme un pays séparé et au pire comme un territoire japonais.

Un exemple concret se trouve dans les ouvrages écrits par l’historien politique Alan M. Wachman qui cite plusieurs déclarations dans les années 20, du père fondateur de la République de Chine, le docteur Sun Yat-sen, et du futur dirigeant et général de la RDC, Chiang Kai-shek, qui définissaient encore la situation de Taiwan en comparant la Corée ou le Vietnam colonisés et montraient leur soutien pour l’indépendance de l’île vis à vis de la gouvernance japonaise.

Le principal point de l’analyse réalisée par Gerrit Van der Wees est que la position des dirigeants et cadres du PCC actuellement n’a pas toujours été un discours définissant Taiwan comme une « part inaliénable de Chine ». C’est en 1942-1943 que le parti fait un virage à 180 degrés sur sa position concernant Taiwan, un virage qui mérite d’y regarder de plus près.

 

Le point de vue du Parti Communiste Chinois de 1928 à 1943 : Taiwan une nation distincte

A la fin des années 1920, le tout jeune PCC reste principalement engagé dans la lutte pour sa survie face aux Nationalistes de Chiang Kai-shek. Mais le parti avait développé une position très singulière vis à vis de Taiwan, qui est à l’opposé de l’actuelle position du parti.

Cette position, décrite en détail dans l’étude marquante de Franck Hsiao et Lawrence Sullivan intitulée « The Chinese Communist Party and the Status of Taiwan from 1928 to 1943 », le parti communiste et ses dirigeants décrivaient et présentaient bien Taiwan comme une « nation » (民族) et les décris ses résidants comme ayant une nationalité taïwanaise.

A l’époque le PCC est allé même jusqu’à reconnaitre le « mouvement de libération national » du Taiwan occupé par le Japon comme une lutte d’une « faible et petite nation » qui était séparée de la révolution chinoise et donc potentiellement de sa souveraineté.

Cette position a été exprimée encore plus clairement par le Président Mao Zedong dans un entretien avec le journaliste américain Edgar Snow qui avait cité Mao en disant : « ... nous allons étendre notre aide enthousiaste aux Coréens dans leur lutte pour l’indépendance. Nous ferons de même pour Taiwan. » Cette position sera maintenue et réitérée dans les années suivantes par les dirigeants du PCC tels que Zhou Enlai.

 

Le virage à 180 degrés du PCC sur Taiwan en 1942-1943

Ces positions changeront soudainement dans la période 42-43. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale commencera à toucher la région du Pacifique après la bataille de Midway opposant les marines du Japon et des Etats-Unis. Les Nationalistes dirigés par Chiang Kai-shek, commencèrent à réclamer le retour de Taiwan dans giron chinois de la République de Chine à la fin de la guerre. Cette position et requête se retrouvera dans le communiqué conjoint après la Conférence du Caire de novembre 1943 entre le président américain, Franklin Roosevelt, Le Premier ministre britannique, Winston Churchill et Chiang Kai-shek. Ce document sera par la suite appelé « déclaration du Caire », un terme qui sera beaucoup répété au cours des années qui suivront.

Pour ne pas être devancé par son rival, le PCC retournera également sa veste pour s’aligner sur la position des Nationalistes. C’est à partir de ce moment-là que le parti que le PCC commença a également réclamer le retour de Taiwan à la Chine, qui deviendra à partir de 1949 la République Populaire de Chine.

La bifurcation vers cette nouvelle position a été formalisée à travers les décisions et déclarations officielles des dirigeants du parti et exprimée à travers une terminologie politique ciblée. Cela deviendra la base du discours intransigeant actuel de la République Populaire de Chine.

Néanmoins, pendant une période significative de ses premières années d’existence, le PCC, y compris Mao Zedong, a considéré les Taiwanais et Taiwan comme une nation distincte de la Chine et prônait l’existence de Taiwan comme une nation indépendante et séparée de la Chine.

Le docteur Gerrit van der Wees conclut son article en exprimant son désir de rappeler aux dirigeants de Pékin du fait que le PCC n’a pas toujours eu la même position sur Taiwan et de les encourager à trouver des solutions pacifiques à travers les lignes politiques passées du parti car son actuelle position politique ne peut mener qu’au conflit.

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