Lui qui avait enseigné à Taïwan me donne rendez-vous à Taipei après la guerre
Curieux envers les cultures des autres pays, j’ai choisi de faire des études en Russie quand j’étais jeune. Aujourd’hui, je suis professeur à l’Université nationale Chengchi où je donne des cours liés à la recherche sur la Russie. A l’Université Chengchi, il y a certaines facultés très spéciales dont fait partie l’Institut de recherche sur la Russie où je travaille. Il est l’unique de tout Taïwan. Bien qu'il s'agisse d'un institut de recherche sur la Russie, nos cours et domaines de recherche ne se limitent pas aux études russes. La démocratisation des pays post-communistes est également un sujet de thèse populaire.
Grâce à mon travail, j'ai l’opportunité d’échanger avec des chercheurs des pays d'Europe centrale et d’Europe de l’Est et même de publier conjointement des articles. Pour cette raison, je me suis fait des amis en Europe de l'Est, comme en Ukraine où la guerre a récemment éclaté.
Cette année-là, il m’avait appris l’ukrainien
Depuis son indépendance de l'Union soviétique en 1991, l’Ukraine située en Europe de l’Est connaît deux orientations pour le développement de la nation: faut-il s’éloigner de la Russie pour se rapprocher de l’Europe et des pays occidentaux? Ou faut-il se tourner vers la Russie à l’est? La lutte entre ces deux courants a même provoqué la révolution orange en 2004.
Afin d’offrir aux étudiants une meilleure compréhension du passé, du présent et de l'avenir de l'Ukraine, j'ai invité Viktor Kiktenko, un chercheur de l'Académie nationale des sciences d’Ukraine, comme conférencier invité à l'Université nationale Chengchi.
Le professeur Viktor Kiktenko m’a ouvert une fenêtre sur l’Ukraine. Grâce à lui, j’ai découvert les différences entre l’ukrainien et le russe et l’histoire de l’Ukraine. Plus important encore, il m'a fait comprendre l'identité nationale de l'Ukraine et sa profonde passion pour l'Ukraine. À l'époque, il espérait déjà que davantage d'étudiants taïwanais s’intéressent aux études sur l'Ukraine, et que je puisse comprendre davantage son pays directement en ukrainien. Il pensait qu’étant donné que je parlais déjà russe, j'apprendrais l'ukrainien beaucoup plus rapidement que les autres. C’est pourquoi il m’a donné des cours individuels d’ukrainien pendant nos temps libres.
En début d’année (2022), lorsque les informations ont rapporté le rassemblement de dizaines de milliers de soldats le long de la frontière ukrainienne par la Russie et l’intensification des tensions entre la Russie et l’Ukraine, j'étais extrêmement inquiet pour mon ami, le professeur Viktor Kiktenko en Ukraine. Je l’ai contacté par les réseaux sociaux et il m'a dit à l’époque que la situation à Kiev, la capitale de l'Ukraine, était relativement stable, et il espérait également que l'armée russe n'envahirait pas l’Ukraine.
Perte de contact après le déclenchement de la guerre
Le 24 février, la Russie a orchestré une invasion massive de l'Ukraine et a attaqué Kiev. J'ai soudainement perdu tout contact avec Viktor Kiktenko. En étant à Taïwan, j'ai essayé de le contacter par les réseaux sociaux durant des jours, mais toujours sans aucun retour. Lorsque j'ai vu les reportages télévisés sur le siège de Kiev par l'armée russe et des immeubles résidentiels cibles de frappes, j’étais non seulement profondément choqué de la cruauté de l’armée russe, mais je m’inquiétais également de la sécurité de mon ami. Compte tenu de ma spécialisation professionnelle, je suis récemment beaucoup invité à des séminaires universitaires ou des interviews dans les médias. Néanmoins, à mes yeux, cette guerre qui se situe à 8000 kilomètres de Taïwan n'est plus seulement une analyse de la guerre, mais un réel suspens pour savoir si mon ami est toujours vivant.
Chaque jour, j’allumais mon ordinateur en espérant recevoir un message de Viktor Kiktenko mais l’écran restait figé sur nos derniers échanges. Jour après jour, l’armée russe poursuivait son invasion de l’Ukraine par le nord, l’est et le sud. Les tirs russes depuis les avions, les chars et les navires détruisaient le pays des Ukrainiens. Plus les offensives russes s'intensifiaient, plus l’ombre de mon cœur s’étendait.
Je lui ai transmis la chaleur et les encouragements de Taïwan
Un week-end au matin, j’ai soudainement entendu le signal de notification de mon ordinateur m’annonçant l’arrivée d’un nouveau message. Je me suis précipité vers mon écran et je n’ai pas pu m’empêcher de crier au fond de moi : « Dieu merci! C’est Viktor Kiktenko! » Il était sain et sauf. Il me disait que pour fuir les attaques russes, il n’avait d’autre choix que de quitter Kiev pour s’installer temporairement dans une ville à l’ouest de l’Ukraine. En raison des attaques aériennes incessantes de l’armée russe, sa famille et lui étaient restés confinés dans un abri anti-aérien depuis des semaines. Lorsque l’Academia Sinica a annoncé le programme d’accueil des chercheurs ukrainiens, je lui ai transmis aussitôt la nouvelle en lui suggérant de remplir une demande afin de venir à Taïwan. En plus de trouver refuge à Taïwan, il pourrait continuer à mener ses recherches à Taïwan. Toutefois, sa réponse m’a laissé à la fois admiratif et compatissant. Pour défendre le pays contre l’invasion russe, l’Ukraine prévoyait d'enrôler tous les hommes de moins de 60 ans (18-60 ans). N’ayant que 51 ans, le professeur Viktor Kiktenko n’était donc pas encore exempté et il m’a d’ailleurs dit qu’il était prêt à répondre à l’appel de l’Etat pour s’engager dans ce conflit et lutter contre l’armée russe. C’est pourquoi, il déclinait mon invitation à faire la demande de venir à Taïwan.
Le 26 février, dès que les images de la tour Taipei 101 illuminée aux couleurs de l’Ukraine sont apparues, je les lui ai transmises. Le 5 mars, lorsque le ministère des Affaires étrangères taïwanais a tenu une conférence de presse pour annoncer un plan d’aide aux Ukrainiens, je lui ai également relayé ces informations en guise d’encouragement pour qu’il tienne bon dans son abri anti-aérien. Quand il a pris connaissance de ces soutiens de Taïwan, en plus de remercier continuellement Taïwan de cette amitié réconfortante, il m’a même confié que son séjour à Taïwan était le moment le plus mémorable de sa vie. Nous nous sommes donnés rendez-vous pour nous revoir à Taipei une fois la guerre terminée.
Ce qui fait qu’un pays est admirable, c’est que son peuple est respectable. Le peuple ukrainien a démontré sa détermination à se défendre courageusement contre la Russie. Il se bat non seulement pour défendre la patrie, mais aussi pour garantir que ses libertés et sa démocratie ne soient pas piétinées par l’autoritarisme du président russe Vladimir Poutine. Je prie sincèrement que le Ciel ait pitié du peuple ukrainien pour qu’une lueur de paix apparaisse le plus rapidement possible. Comme l’a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky, la lumière vaincra l’obscurité et l’Ukraine bâtira de nouvelles maisons et de nouvelles villes. Dans le même temps, naîtront de nouveaux rêves et une nouvelle histoire s’écrira.
Rédigé par Wei Pai-ku (魏百谷), professeur associé à l’Institut de recherche russe de l’Université nationale Chengchi.
Conception graphique / Cheng Han-wen (鄭涵文)
Responsable d’édition / ChenYun-ru (陳韻如)
Direction littéraire / Yang Hui-chun (楊惠君)
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